
À la fois poète, romancière et journaliste, considérée comme l’égale de Colette, Marie de Heredia incarne la femme lettrée en avance sur son époque. Féministe visionnaire, elle ne cesse de bousculer l’ordre établi, revendiquant une seule liberté… Vivre à sa guise. Car les filles ont, autant que les garçons, le droit d’exister par elles-mêmes ! Cela tout en gardant bien sûr un certain sens du respect.
Cette philosophie se retrouve dans ses poèmes, qui évoquent tour à tour les singularités féminines et les erreurs des amoureux.
Avec L’Endormie, Marie partage le message suivant : un homme n’a pas de droits sur une femme. D’elle, il ne peut voir que ce qu’elle l’autorise à regarder : “ainsi qu’il ne peut surprendre la nature (…) L’homme doit respecter ton innocence impure”. Chose presque révolutionnaire en 1900 !
Mais à l’heure des #MeToo et autres débats sur la notion du consentement, ce texte ne saurait être plus actuel…
Elle dormait, pareille aux indécentes roses…
Et l’homme contemplait, parmi les grands coussins,
Cette femme, jetée en sa naïve pose :
Blanche flexible et double où fleurissent les seins.
Ah ! comme il se penchait sur cette forme nue
Dont la ligne allongée et le nacré contour
Avaient l’éclat doré des lumineuses nues
Que l’on voit disparaître au soir d’un trop beau jour !
Sœur de la bête libre et des plantes captives,
Esclave de la lune, ondoyant océan,
Un homme est là, courbé sur tes dormantes rives,
Qui guette ton mystère et scrute ton néant.
Oui, dormeuse, le sage interroge ton songe…
Sa raison sur ton être élève sa lueur
Et, dans ta volupté, ta grâce et ton mensonge,
Cherche le vol posé d’une âme sur tes fleurs.
À l’aide de la froide et sévère pensée
Il voudrait te saisir, ô charme de la nuit,
Quand sur le ciel du rêve indolemment bercée
Tu sembles t’éloigner de la terre et de lui…
Douce belle aux yeux clos, on te trahit : Prends garde !
Un homme curieux sur ta couche est penché,
Hostile, il te surprend, te juge, te regarde,
Mélancolique Amour interrogeant Psyché.
… Mais elle, en son sommeil que veille sa malice,
A senti le reflet de ce regard voleur
Et tiré d’un seul coup la couverture lisse
De ce geste ennemi que l’on nomme pudeur ;
Car, ainsi qu’il ne peut surprendre la nature
Dans l’auguste candeur de ses cruels secrets,
L’homme doit respecter ton innocence impure,
Femme, et croyant t’aimer, ignorer qui tu es.
Marie de Heredia (dite Gérard d’Houville)
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