SALOMÉ de Guillaume Apollinaire

Connaissez-vous Salomé, la princesse juive qui, influencée par sa mère, exigea du roi Hérode la tête de saint Jean-Baptiste ? D’une enfant rapidement apparue lors d’un épisode néotestamentaire, l’Histoire a fait une tentatrice sensuelle, douée de tant de grâce et de beauté que son beau-père le roi n’a pu lui résister. Autrement dit, une véritable muse qui inspira les artistes du monde entier !

Rien d’étonnant donc à ce que Guillaume Apollinairepoète dont l’un des nombreux talents consiste à lier modernité et tradition – se soit jeté sur cette incarnation de la femme fatale.

Le poème Salomé appartient au recueil Alcools publié en 1913. À sa façon, l’écrivain revisite la fameuse danse que la jeune femme aurait interprété devant Hérode Antipas, déplaçant le thème dans un univers où la légende s’entremêle au temps jadis : “lys”, “Dauphin”, “comtesse” et “L’infante son rosaire” font référence à la cour de Louis XIV. En réalité, le texte évoque la peine causée par Annie Pleyden, une gouvernante anglaise dont Apollinaire s’était alors entiché. Dans ce contexte, le personnage de Salomé exprime à la fois l’attrait et la terreur que provoque le pouvoir de séduction. Mieux encore, la décapitation du prophète symboliserait la castration de l’homme, aliéné par le désir.

Le poète transpose ici la cruauté de sa maîtresse sur le plan légendaire, donnant un sens universel à sa situation. Malgré tout, il illustre également à travers cette figure l’éternel féminin.

Un éternel qui, selon Goethe, “attire l’homme vers le haut, vers la transcendance divine.”


Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin

Mon cœur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton

Et pour qui voulez-vous qu’à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L’emmenèrent se sont flétris dans mon jardin

Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse
N’y touchez pas son front ma mère est déjà froid

Sire marchez devant trabans marchez derrière
Nous creuserons un trou et l’y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu’à l’heure où j’aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L’infante son rosaire
Le curé son bréviaire

Guillaume Apollinaire


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