A 27 ans, le danseur étoile Hugo Marchand sort Danser. Un livre autobiographique où l’artiste-athlète revient sur une leçon très importante : nous n’avons jamais fini d’apprendre. Quels que soient les sommets atteints.
Rêver un impossible rêve / … / Brûler d’une possible fièvre / Partir où personne ne part / Tenter, sans force et sans armure / D’atteindre l’inaccessible étoile ! La Quête… Une chanson que Hugo Marchand a faite sienne, tant elle illustre si justement sa passion !
J’entends déjà tes pensées… À voir la couverture, tu t’imagines que j’ai bêtement craqué pour un “beau gosse” musclé, n’est-ce pas ?
Détrompe-toi. Ta mère ne te l’a-t-elle jamais dit ? Il faut toujours se méfier des apparences 😉 Or je l’avoue, tu n’aurais qu’à moitié tort car je suis effectivement très admirative d’Hugo… Mais de son travail ! Et c’est la valeur de ce travail que je veux partager avec toi.
LE CORPS, UN INSTRUMENT À PART ENTIÈRE
Certes, Hugo Marchand est très jeune. Pourtant, à 27 ans, je te parie qu’il a vécu mille fois plus que ce que nous pourrions éprouver à cet âge… Si tu savais combien le métier de danseur classique est difficile ! Si tu savais tout ce qu’il compte d’obstacles, de doutes et de douleur… Oui, j’ai bien dit “douleur.” Il y a quelques années, j’ai lu le témoignage d’une ballerine d’ABT qui explique que chaque matin où elle se réveille sans avoir mal la fait paniquer. Ce serait, d’après elle, le signe qu’elle n’a pas suffisamment travaillé.
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La souffrance physique escorte au quotidien le danseur, jusqu’à faire partie de lui. Elle n’est qu’un prix qu’il accepte avec joie de payer pour vivre son art. La question est plutôt de savoir comment se l’approprier, quand il faut l’écouter, et surtout quand s’arrêter. Pourquoi s’infliger une telle torture ? Ces artistes seraient-ils masochistes ? Absolument pas ! Ils s’expriment simplement à travers leur corps. C’est leur principal outil, tout comme le peintre se sert d’un pinceau, l’écrivain d’une plume et le sculpteur de son biseau. En guise de partition, eux n’ont que leur chair.* Cette douleur constante leur permet d’atteindre, en dansant, un idéal de grâce et de beauté qui leur procure un immense bonheur. Ils s’efforcent alors, par leur interprétation, de répandre un peu de ce merveilleux sur scène. C’est là toute la magie du ballet. “Sortir de scène pour qui vient de danser est d’une dureté absolue. (…) Il faut toujours attendre que celui ou celle qui sort de scène en redescende” soutient Hugo Marchand.
RIEN D’AUTRE QUE LA PERFECTION
Si toutes les danses se suivent, aucunes ne se ressemblent. Chacune impose ses codes, ses contraintes et sa propre rigueur. Il se trouve que la danse classique, elle, n’accepte ni le laisser-aller ni l’improvisation. Exigeant la perfection, elle pousse le danseur à apprivoiser, façonner, voir dompter son corps, le tordant toujours plus dans une quête sans fin d’excellence. Ce corps qui doit correspondre à des normes extrêmement rigoureuses. Ce corps capricieux dont il confronte quotidiennement les défauts, en face-à-face incessant avec le miroir.
Hugo, lui, s’impose tout cela dès l’âge de neuf ans. Alors qu’il n’est qu’un enfant, il part conquérir l’“inaccessible étoile”, sa raison de vivre : la danse ! Seulement voilà, côté morphologie, la machine renâcle. Trop grand, trop lourd, des “bras tordus” aux “pieds plats”, le jeune homme n’a pas le physique adéquat. Qu’importe, Hugo s’obstine, travaille, lutte, se tord, se distord et, dans son acharnement, réussit l’impossible : transformer ses faiblesses en atouts qui, à 23 ans, le propulsent étoile de l’Opéra de Paris. Autant dire le saint Graal envié, recherché par les danseurs du monde entier… Et dans un milieu aussi normé, aussi codifié que la danse classique, parvenir à métamorphoser une anatomie jugée inadaptée en un instrument loué pour sa puissance féline, cela relève d’un incroyable exploit !
Warning néanmoins : si ce large gabarit constitue aujourd’hui la “marque de fabrique” d’Hugo, il reste sa fragilité, l’astreignant à une récupération plus importante que la moyenne. Ignorer ces exercices préventifs ferait de lui un colosse aux pieds d’argiles, la cible idéale des pires blessures.
L’ÉCOLE DE L’ACCEPTATION
Comment s’est-il forgé ? Par quelles épreuves est-il passé et quels enseignements en a-t-il tiré ? Comment est-il parvenu à concilier camaraderie et rivalité ? Hugo Marchand partage avec nous ses réponses, et plus encore ! Il nous livre tout plein de leçons de vie, petites clés utiles au quotidien, tant dans nos rapports privés que sur le plan professionnel.
Bien qu’étant un peu familière avec les règles du classique, ce garçon m’a fichu une claque : il montre ici le courage de vivre sa passion, l’immensité des efforts qu’exige l’aboutissement d’un rêve.
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Ce livre n’a rien d’un documentaire concernant l’Opéra. “C’est un récit sur le fait d’apprendre un métier très jeune, le parcours et la discipline que cela demande…” précise Hugo. Sans fard, l’artiste y aborde la danse comme école de l’acceptation. Accepter d’abord son corps, faillible lorsqu’il se blesse et intrusif face au miroir, implacable reflet des imperfections à dépasser. Accepter la critique, continuelle, et son amère remise en question. Accepter ses erreurs pour comprendre que progresser implique de se tromper. Accepter la compétition, plus rude envers lui-même qu’avec ses camarades. Accepter surtout d’attendre, lui si impatient, que l’expérience chasse la défaite. Bref, une multitude de consentements sans lesquels le jeune danseur ne peut remporter les défis qui fondent encore son apprentissage : narguer l’échec, affronter la peur et ses “vagues scélérates”, fusionner l’émotionnel instinctif, ventral, avec la maîtrise académique si cérébrale, reprendre chaque jour comme si rien n’avait été appris…
Voilà ce que raconte Danser ! Apprendre à apprendre.
TOUJOURS PLUS D’ÉTOILES À CONQUÉRIR
Et après la nomination ? Que reste-t-il ? Les rêves s’arrêtent-ils ? Certainement pas ! Curieux, insatiable, Hugo Marchand ne cesse d’élargir ses horizons : rencontres, rôles, projets, concours internationaux… Notre homme traque tout ce qui peut le faire grandir en tant qu’artiste. Accompagnant Germain Louvet et Léonore Baulac, il mène cette génération d’étoiles engagées qui souhaitent rendre le ballet accessible au plus grand nombre. En témoigne ses passages réguliers à l’hôpital Necker où, via l’association The What Dance Can Do Project, il enchaîne les portés devant des enfants malades.

Ce travail d’ouverture passe aussi en répondant “présent” aux sollicitations des médias, chose peu répandue parmi les anciens : “On a envie d’être médiatisés, de porter l’institution, de vraiment démocratiser la danse. (…) Être associé au sport, toucher ce public-là, c’est important pour décoincer le regard qu’on porte sur nous.”
Oui, Hugo n’a pas fini de rêver. Son ciel reste parsemé d’étoiles à décrocher : “Je n’ai pas attrapé la queue du Mickey. Ce n’est que le début. (…) J’ai encore tout à danser, tout à découvrir et ça me fait rêver. L’inconnu me fait rêver… J’ai plein d’espoirs pour la suite.”
Hugo Marchand, danseur singulier mais refusant l’isolement des tours d’ivoire. Étoile, évidemment, mais la tête et les pieds sur scène comme dans la vie. La vraie vie. Celle qu’il a choisie.

RÉSUMÉ
Hugo Marchand s’est réveillé un matin avec un rêve. Il avait neuf ans. C’est à ce rêve de danse que ce virtuose de la nouvelle génération d’étoiles de l’Opéra de Paris s’est accroché. Quatre ans après son entrée au conservatoire de Nantes, médaillé d’or à treize ans, il est admis à l’École de danse de l’Opéra national de Paris. Malgré son profil atypique, Hugo Marchand intègre le corps de ballet de l’Opéra à dix-sept ans. Il gravit les échelons, se mesure aux autres, comme à lui-même, dans les concours internationaux et accède au grade ultime de danseur étoile en mars 2017.
En partageant son apprentissage, Hugo Marchand pose un regard sur la danse comme école de l’acceptation. Celle de l’immensité du travail qu’impose la concrétisation d’un rêve. De la quête d’excellence au façonnage de la confiance en soi pour le réaliser. Le bras de fer entre doutes et détermination. De la solitude à la surexposition, de l’amitié possible malgré la compétition. La perpétuelle confrontation au miroir, reflet des imperfections à dépasser. L’expérience d’une métamorphose.
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