CE QUE M’A DIT LA MINUTE de Jean Cocteau

Peintre, cinéaste, dramaturge… Mais poète avant tout ! Chacune de ses œuvres exsude cette poésie douce, fantastico-romantique, dont il a le secret. “Bon génie” aux multiples talents, “tout travail est poétique” à ses yeux. C’est pourquoi l’on retrouve, autant dans ses dessins que dans ses films, un lyrisme unique, melting-pote des influences transmises par ses amis artistes. Te souviens-tu du générique de La Belle et la Bête ? Il y trace à la craie les noms des acteurs sur un grand tableau noir. Rien que cette image me rappelle le style d’Éluard : “Sur mes cahiers d’écoliers / … J’écris ton nom.” Impossible non plus d’ignorer, dans Ce que m’a dit la minute, cette succession de “Si…” qui sonne comme une allusion au célèbre poème de Kipling.

D’une santé fragile, marqué par le suicide de son père, cet homme amoureux du beau apprend très tôt comment savourer la vie : en acceptant qu’elle peut immédiatement vous quitter. Sans cesse, il profite de chaque instant.
Tiré de La lampe d’Aladin – premier recueil publié en 1909 – Ce que m’a dit la minute proclame cette philosophie : “Vite ! N’attends pas que je passe ! Dans un moment, tu ne seras peut-être plus là. Prends toutes mes secondes pour rire, aimer, créer, donner, apprendre… Dévore et partage tout ce que tu peux ! Il n’est pas trop tard puisque tu respires.”

La vie… Quel merveilleux voyage ! Une aventure folle dont le repos éternel n’est que la finalité. Et dans son poème, ce personnage si lumineux nous rappelle que, comme pour toute odyssée, l’important n’est pas la destination. Non bien sûr, c’est la route parcourue. Entre le départ et l’arrivée, il y a tant de surprises, de rencontres, d’expériences à vivre !

Celui qui “étreint” la moindre minute de son existence n’a pas à craindre la mort. Ayant cueilli toutes les “mûres du chemin”, il pourra jouir du paradis sans regretter quoi que ce soit… Parce qu’il aura vécu pleinement.

Surnommé le “poète-orchestre” par Louis Aragon, élu à l’Académie française en 1955, Jean Cocteau compte parmi les plus grands écrivains du XXème siècle. À ceux qui n’en connaisse que La Belle et la Bête, il est temps de découvrir ses vers !


La minute m’a dit : “Presse-moi dans ta main,
Tu ne sais aujourd’hui si tu seras demain,
Ainsi prends tout le suc qui m’enfle comme une outre,
Ne tourne pas la tête et ne passe pas outre,
Vis-moi ! … dans un instant, je serai du passé !
Mais tu ne sais peut-être au juste ce que c’est
Qu’étreindre dans ses bras la minute qui passe,
Si tu comprends la splendeur grave de l’espace
Qui te laissait jadis indifférent et froid,
Si tu sais accepter la douleur sans effroi,
Si tu sais jouir d’un très subtil parfum de rose,
Si pour toi le couchant est une apothéose,
Si tu pleures d’amour, si tu sais voir le beau
Alors suis sans trembler la route du tombeau.
Tu vivras de chansons, de splendeurs, de murmures,
Le chemin n’est plus long si l’on cueille ses mûres,
Et je suis près de toi la mûre du chemin !”
La minute m’a dit : “Presse-moi dans ta main.”

Jean Cocteau


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