Une folle odyssée, des personnages rocambolesques, un pays captivant… N’en demandez pas plus ! L’Abyssin rassemble tous les ingrédients d’un excellent roman historique. Il dresse aussi un portrait au vitriol des missionnaires catholiques, qui tentent alors d’imposer leur vision de la foi en Éthiopie.
Que dirais-tu d’une excursion en Éthiopie… Au temps de Louis XIV ! Mêlant la fiction à la grande Histoire, Jean-Christophe Rufin nous embarque dans une grande aventure : celle du médecin et explorateur Jean-Baptiste Poncet.
Du Sinaï à Versailles, ce docteur baroudeur plonge dans les secrets de l’Abyssinie, contrée hors du temps, parée des souvenirs somptueux laissés par la reine de Saba, l’arche d’alliance, la gloire d’Aksoum et autres légendes.
UNE TERRE D’ORIENT ET D’OCCIDENT
Bien avant notre roman, vers 1632, l’empereur Fasiladas fonde Gondar, troisième ville d’une nation encore nomade. Soixante ans plus tard, lorsque Poncet y rencontre le Négus Iyasou Ier, cette cité est devenue un centre religieux et commercial d’importance, la capitale du pays. Nous sommes en plein dans la période gondarienne, traversée par les divisions doctrinales, la percée de l’islam et la lutte contre les offensives Oromos, une ethnie venue du sud.
L’Abyssinie subit alors, depuis plus d’un siècle, la présence des plus grandes puissances européennes et leurs tentatives d’occidentalisation. Un jour, en Égypte, débarque au consulat de France un jésuite, porteur des volontés du Roi Soleil : envoyer une ambassade auprès du Négus pour ramener à l’Église l’Éthiopie, autrefois presque convertie. Seulement, comment gagner la confiance du “Roi des Rois” ?
Cette ambassade prend donc les pas d’un apothicaire, Jean-Baptiste, chargé de guérir Iyasou Ier d’une étrange maladie. Parti du Caire, le jeune homme découvre une région fascinante, riche, mystérieuse… Une terre gouvernée par un monarque sage et clairvoyant qui, à sa manière, se montre aussi grand souverain que Louis XIV. Dès lors, Jean-Baptiste n’aura de cesse que de protéger l’Abyssinie des congrégations, en mal d’asservissement.
LE DROIT DES PEUPLES À DISPOSER D’EUX-MÊMES
Voilà ce que raconte L’Abyssin. Son odyssée. Un périple à la Casanova, mais au souffle épique des cavalcades mousquetairiennes d’Alexandre Dumas. Une histoire d’amour entre un docteur-explorateur-ambassadeur et une fille de consul aussi libre que féministe. Un voyage initiatique au cours duquel notre homme comprend la dangerosité des tartuffes, les noires beautés du monde et apprend à s’en défendre. Un plaidoyer contre les fanatismes, qu’ils s’exercent envers la “hideuse Réforme” ou les populations supposées “plongées dans les ténèbres.” Un hymne à la liberté enfin, puisque les héros y conquièrent la plénitude d’eux-mêmes.
D’un simple “oui”, Jean-Baptiste transforme sa destinée. Parce que le bonheur se trouve souvent là où on ne l’attend pas, dans la rage et le désir de se dépasser. Notre destin, après tout, ne se révèle qu’au moment où on décide de le saisir en plein vol.
Plus qu’un roman d’aventure, L’Abyssin rend hommage à nos premiers diplomates, questionne la prédication religieuse, loue la liberté et glorifie l’amour.
RÉHABILITER UN « MÉDECIN DE L’ÂME »
S’inspirant d’un fait réel, l’auteur reprend ici l’épopée d’un certain Charles-Jacques Poncet et le récit qu’il en fit à la cour de Versailles. Ses Mémoires existent, mais tellement trafiquées et enjolivées qu’elles étaient inutilisables.
Pourquoi donc romancer ce fait en particulier ? Élémentaire mon cher Watson : Jean-Christophe Rufin, lui-même toubib, a longtemps travaillé pour Médecins Sans Frontières. Avec MSF, il se retrouve en 1979 dans les maquis érythréens, découvrant par là l’Éthiopie. La voie s’ouvre alors devant Jean-Baptiste/Charles-Jacques, docteur comme lui et qu’il souhaite réhabiliter : “Il y a dans L’Abyssin un peu de ma propre histoire, puisqu’il s’agit d’un médecin de l’âme et non d’un médecin technique. (…) je voulais rendre justice à Poncet, dont j’assimilais un peu la situation à la nôtre.”
Pari gagné. Goncourt du premier roman, L’Abyssin est un livre où souffle le vent brassant les rapports entre l’Orient et l’Occident. Précisant deux ou trois choses sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, on y sent le poids de l’homme tout entier, son engagement et la force de ses convictions.

RÉSUMÉ
À l’origine de ce livre, un fait historique : Louis XIV, le Roi-Soleil, est entré en relation avec le plus ténébreux, le plus mythique des grands souverains de l’Orient, le Négus. L’Abyssin est le roman de cette fabuleuse ambassade.
Jean-Baptiste Poncet, jeune médecin des pachas du Caire, sera, par une extraordinaire réunion de circonstances, le héros de cette épopée baroque et poétique à travers les déserts d’Égypte et du Sinaï, les montagnes d’Abyssinie, de la cour du Roi des Rois à celle de Versailles et retour. L’aventure, l’amitié, l’amour, la découverte joignent leurs forces pour captiver le lecteur et lui faire faire le chemin à une allure palpitante.
Mais qu’on y prenne garde : derrière sa simplicité, sa tendresse, son humour, ce roman d’aventures recèle une fable tragique. Jean-Baptiste est l’homme qui, ayant découvert un nouvel empire et sa civilisation, fera tout pour déjouer les tentatives de ceux qui veulent le convertir : les jésuites, les capucins et tant d’autres. Grâce à lui, l’Éthiopie échappera à toute reconquête étrangère et gardera jusqu’à nos jours sa fierté et son mystère.
Le voyage initiatique de Jean-Baptiste et d’Alix, sa compagne, l’histoire de leur amour constituent la trame de ce périple casanovien dans les marges du Grand Siècle, qui donne à penser ce que l’Occident aurait pu être s’il s’était contenté d’aller vers les autres, sans vouloir les conquérir.
L’Abyssin, tout en empruntant sa langue à Diderot et son rythme à Dumas, est un roman bien actuel, une parabole sur la haine du fanatisme, la force de la liberté et la possibilité du bonheur.
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