AU FÉMININ de Esther Granek

Qu’elles soient mères au foyer ou business women accomplies, nombre de femmes se reconnaîtront dans le poème Au Féminin
Avec humour, Esther Granek y décrit cette culpabilité insidieuse que chacune d’elle ressent quotidiennement, ou au moins une fois dans sa vie : la charge mentale. Eh oui ! Même au XXIème siècle, certaines attentes qui pèsent sur la gente féminine résistent. Toutes se résument en un mot : la perfection. Je caricature bien sûr ! C’est une généralité, mais tu as compris l’idée.

Alors nous accorder du temps devient une faute, un déni des responsabilités. Souvent, il y a ce sentiment qu’en notre absence, tout va s’effondrer. La fameuse phrase “Sois belle et tais-toi” aurait-elle évolué en “Sois belle et active-toi”
Or ne plus agir, c’est s’ennuyer, dormir, rêver… Des moments suspendus, sans rien faire ni penser, essentiels à notre équilibre.

Poétesse belgo-israélienne, née à Bruxelles pendant les années 20, Esther Granek connaît les misères de l’Occupation.

Déportée, elle s’échappe des camps nazis en 1941, retourne au Plat Pays et se cache dans une famille chrétienne jusqu’à la fin de la guerre. 
Elle s’installe ensuite à Tel-Aviv, où elle travaille pendant 35 ans pour l’ambassade de Belgique.

Autodidacte, cette auteure-compositrice – qui n’a jamais pu suivre des études – publie durant sa vie plusieurs recueils de chansons, poèmes et autres ballades. Se moquant des modes et des conventions, ses vers séduisent par leur fantaisie autant que leur liberté.


Vais-je traîner toute ma vie
en moi cette sorte de litanie
qui ne me laisse point de repos
et met ma conscience en morceaux ?

Car voyez-vous, quoi que je fasse,
toujours quelque chose me tracasse
et mes actes les plus louables
au fond de moi me crient : coupable !

Coupable je suis, sachez-le.
Comment, pourquoi importent peu
car mes réponses mille fois reprises
sans fin en moi se contredisent.

Coupable je suis de telle sorte
qu’à y penser toute chose me porte
et mes regrets sempiternels
me sont punition éternelle.

Ainsi donc, n’ayant nulle paix,
de moi-même faisant le portrait,
je rumine l’énumération
de mes actions et inactions…

J’adore me prélasser au lit,
lisant, me cultivant l’esprit.
Mais le remords, comme un démon,
sitôt m’insuffle son poison.

Alors je m’attèle à la tâche
et comme une brute, fais le ménage,
mais en même temps je me répète :
ma fille, tu seras toujours bête !

Je veux, ai-je raison ou tort ?
aussi m’occuper de mon corps
pour être épouse désirable
d’un effet quelque peu durable.

Mais dès qu’à mes soins je m’adonne,
une voix perfide me chantonne :
tu as raison, ne pense qu’à toi,
ils attendront pour le repas !

Alors, retrouvant mes casseroles,
échevelée et l’air d’une folle,
je me redis dans un sermon :
toujours seras-tu une souillon ?

Parfois, avide de détente,
je me complais à ce qui tente,
croyant voler quelques bonnes heures
au temps à consacrer ailleurs.

Mais au lieu de me réjouir,
je ne cherche qu’à troubler ma fête
car de mes cent tâches non faites,
je me punis comme à plaisir !

Ainsi donc, n’ayant nulle paix…
De moi-même faisant le procès…

Esther Granek, Ballades et réflexions à ma façon, 1978


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