225 000 : Un théâtre engagé contre les violences conjugales

La plume de Nicole Sigal trouve là une mise en théâtre d’une grande puissance, vivifiée par un humour qui, même dans le gag, ne s’autorise aucune facilité. Ne tombant ni dans le pathos ni dans l’insoutenable, cette pièce sur les violences conjugales parvient à convaincre de l’utilité d’agir pour faire évoluer les choses.


La violence conjugale, on connaît. Quand le sujet revient sur le tapis, cette petite question sournoise aussi : pourquoi les femmes battues ne quittent-elles pas leur enfer ? Seraient-elles enfermées pour qu’elles ne fassent rien ? Et bien oui… Prisonnières d’un cachot mental : la honte. Détruisant jusqu’à leur identité, leurs compagnons les culpabilisent, les persuadent qu’elles ne valent rien, qu’elles méritent ce qui leur arrive. Manipulateurs, ces hommes mettent à bout leur tendre moitié, les poussant à craquer, hurler leur colère, leur frustration, leur douleur… Inutile donc de compter sur le voisinage, qui voit en ces victimes des folles furieuses hystériques, et en leur homme, un saint si amoureux qu’il supporte sa mégère sans sourciller. 



Pas de passeport. Pas de crédibilité… Où aller ? Qui les croirait ? À quoi bon porter plainte sans carte d’identité ? Découragement, abandon total. Jusqu’au drame absolu. 

Ce phénomène porte un nom : l’emprise. Au-delà d’une dénonciation du harcèlement physique et psychologique, 225 000 décortique cette atroce mécanique. Des faits divers pareils, nous en entendons tous les jours, sans nous sentir concernés. Serions-nous tous des brutes insensibles ? Non. Seulement, ça se passe ailleurs. Nous ne connaissons pas ces personnes. Cela n’impacte ni nos vies ni nos proches. Rien à voir avec l’empathie, c’est relatif à un mécanisme très humain : la proximité. Plus un événement est près de nous, lié à nous ou à notre entourage, plus il nous touche. Pfff… Qu’est-ce que nous pouvons être narcissiques ! Jouant sur ce rapport, la pièce vise justement à supprimer l’effet de proximité pour frapper notre conscience.

“Cette pièce est un cri d’amour envers ces femmes, et un cri de haine envers ces *** dont je refuse, en tant qu’homme, d’être assimilé.” 

Guillaume Vatan, metteur en scène

ANCRER DANS LE RÉEL

Écrite par Nicole Sigal, série d’affaires vraies entendues dans un centre accueillant les femmes battues, 225 000 nous ancre dans la réalité de ces martyres trop lointaines. En entrelaçant leurs récits, en dévoilant les justifications absurdes des violents, des pervers et des prédateurs, l’auteure fait de la cruelle vérité une tragédie qui établit, mieux qu’une critique, l’horreur des faits. 

Histoire d’accentuer encore davantage cet ancrage, quatre acteurs mis en scène par Guillaume Vatan reprennent ces anecdotes dramatiques, campent avec finesse des personnages intenses, déroulent les mots, les gestes pleins d’impudeur. Mauvaise foi, rage folle, naïveté. Très vite, on est captivé. C’est cru, ça gêne aux entournures… Jusqu’à provoquer un malaise, sans doute nécessaire à la conscientisation.

Sur une scène dépouillée, au décor teinté de rouge, les interprètes ne tombent pourtant ni dans le pathos ni dans l’insoutenable, réveillant notre conscience.

La plume de Nicole Sigal trouve ici une mise en théâtre puissante, implacable, galvanisée par un art de la satire qui, même dans la blague, ne s’autorise aucune légèreté. 

225 000
Compagnie Bouche B

Mise en scène de Guillaume Vatan
Lieu : Théâtre Essaïon, du 31 août au 7 octobre 2023
Horaire : 19h15
Tarifs : 25€, 18€ (réduit), 12€ (enfant)


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