FEMMES ÉCRIVAINS : LE COMBAT DE LA LÉGITIMITÉ

Des Précieuses à Amélie Nothomb, comment le statut des femmes écrivains a-t-il évolué depuis le XVIIe siècle ? Qu’ont-elles apporté à la littérature ? Quelle place leur reste-t-il à prendre aujourd’hui ? Zoom sur ces esprits libres qui se jouent des conventions !


“Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation…” Oulà ! Il y a des manières plus simples de demander une chaise, n’est-ce pas ? Or voilà comment Molière, avec sa pièce géniale, a su ridiculiser les Précieuses, les vraies… Je parle ici des dames cultivées qui se réunissaient dans leurs salons dorés, où elles recevaient auteurs et philosophes de tout poil, quel que soit leur sexe. On y parlait, on y riait, on y dansait, on y déclamait des vers… Et surtout, on y échangeait ses idées.
C’est lors de ces réunions que les Précieuses ont rêvé de nouvelles relations entre hommes et femmes, qu’elles ont osé prendre la plume et en même temps inventé le roman moderne français !

LES FEMMES ÉCRIVAINS, INITIATRICES DU MONDE MODERNE ?

Ah les femmes… Quelles casses-pieds ! Jamais contentes, elles cherchent toujours la petite bête. Pourtant, à travers leurs écrits émergent les premiers concepts de l’ère contemporaine, ceux-là même qui donneront plus tard naissance au féminisme. Entre autres exemples : Olympe de Gouges, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Ou encore l’institutrice anglaise Mary Wollstonecraft, à l’origine du pamphlet révolutionnaire Défense des droits de la femme.
En parlant de Wollstonecraft, son unique enfant n’est autre que… Mary Shelley, cerveau du chef-d’œuvre gothique Frankenstein ou le Prométhée moderne. Un récit fascinant qui entrelace le conte fantastique avec une réflexion morale (toujours d’actualité) sur le progrès scientifique. Ce roman – considéré comme le précurseur de la science-fiction – Mary a dû se battre contre le fait d’être une femme pour le publier sous son nom. Elle y réussit, en partie grâce au soutien de son compagnon, le poète Percy Shelley.

Mary Shelley rédigeant ses textes contre la tombe de sa mère (Mary Shelley, Haifaa Al-Mansour)

L’INDÉPENDANCE À N’IMPORTE QUEL PRIX

Eh oui ! Plus nous avançons dans le temps, plus nous nous éloignons du fameux “siècle des femmes” et de ses salons. À l’époque, malgré une société fort machiste, Madeleine de Scudéry recevait  le prix de l’éloquence de l’Académie Française. Vers le XIXème siècle, c’est à peine si la vénérable institution tolère dans ses couloirs la présence du “beau sexe”… Aux yeux du monde – et surtout de la loi – une femme dépend alors de son père, puis de son mari. On lui dénie toute propriété personnelle, toute occupation autre que la gestion d’une maison et l’éducation des enfants. En cas de séparation, elle se retrouve généralement sans ressources, l’ensemble de ses possessions revenant à son époux. Quelles que soient ses envies, celles-ci sont éclipsées par la figure de la mère, qu’elle incarne malgré elle.



Nos héroïnes concilient donc rarement une vie maritale épanouie avec leur carrière. Certaines, à l’image de Louisa May Alcott (auteure de Little Women), évitent franchement le mariage et vivent de petits métiers. D’autres, telles que Colette, – effacée par son mari qui fait d’elle son nègre – s’en affranchissent, au risque de tout perdre pour retrouver leur liberté. D’autres enfin, comme George Sand, parviennent à vivre selon leurs règles derrière la protection d’un pseudonyme masculin… N’en déplaise au scandale bien sûr !

Le scandale… Manifestement, Amantine Aurore Lucille Dupin adore ça ! Séparée du baron Dudevant, habillée en costume-cravate et fumant le cigare, elle provoque effrontément la bonne société, se jouant de leurs principes surannés. Dans ses premiers romans, notamment Indiana, notre chère George bouscule justement les conventions sociales. Sans hésiter, elle y magnifie la révolte des femmes en exposant leurs sentiments… Chose exceptionnelle à l’époque, et qui divisa aussi bien l’opinion publique que l’élite littéraire

FAIRE ENTENDRE SA VOIX

Choquer, provoquer, heurter… Voilà la meilleure arme dont disposent alors ces personnalités au caractère bien trempé ! Autrement, comment se faire entendre ? De même que Sand, la poétesse et dramaturge Marie de Heredia ne s’en est pas privé, offusquant à loisir la bien-pensance parisienne.

Fille, compagne et belle-sœur de poètes, femme fatale autant que femme de lettres, Marie traverse la Belle Époque avec insouciance, sans se préoccuper des convenances. Cela l’amuse d’autant plus que, sous la Troisième République, l’on qualifiait les écrivaines de “viragos.” Ironiquement désignées comme des “bas bleus”, souvent soupçonnées de frigidité – si ce n’est d’infertilité – elles étaient accusées de porter atteinte à la famille ainsi qu’à la nation. Fichtre ! Il y avait sérieusement de quoi ruer dans les brancards ! Alors quitte à se retrouver au ban de la société, autant vivre pleinement et briser ouvertement les règles

George Sand et sa plus grande histoire d’amour : Alfred de Musset (Les Enfants du Siècle, Diane Kurys)

IMPOSER LA LÉGITIMITÉ FÉMININE 

Aujourd’hui, qu’en est-il de la place des femmes parmi les belles-lettres ? Le passage de l’écriture “pour soi” des journaux intimes, socialement autorisée, à l’écriture publique du manuscrit publié est-il toujours si délicat ? Selon une représentation dominante, les écrivaines contemporaines obtiendraient désormais une égale reconnaissance que la gente masculine… Au point qu’elles tiendraient le “haut du pavé”! Un tableau qu’illustre parfaitement le cas Amélie Nothomb : comptant vingt ans de succès, dix grands prix littéraires (dont deux de l’Académie Française) et la reconnaissance internationale, on ne peut pas dire que la romancière belge soit bridée par les préjugés sexistes !



Mais cette réussite, à quel point son originalité y a-t-elle contribué ? Amélie ne serait-elle pas, à sa façon, la George Sand des années 2000 ? “Telle est la question” renchérirait Shakespeare

Car il faut le dire, ce n’est qu’un début. Quelques obstacles d’ordre symbolique persistent. Ayant longtemps constitué une forte minorité, les auteures sortent à peine de l’ombre. C’est là l’enjeu du XXIe siècle : imposer leur légitimité toute neuve, encore peu acceptée parce que trop récente. 

Ridicules ? Les Précieuses ? Soit, si l’on considère qu’une femme aspirant au savoir n’est qu’un personnage suspect ou risible… Mais heureusement qu’elles ont existé !

Parce que je n’ai pas fait d’études de lettres, parce que je ne pense pas faire partie d’une élite intellectuelle, parce que je suis une femme aussi, j’ai eu un gros problème de légitimité. À mes yeux, les écrivains sont des hommes.

Quand ce sont des femmes, je les vois comme des espèces d’esprits complètement hors-normes, et pour moi la littérature était très masculine. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un coupable à ça… Ce sont juste des conditionnements sociaux qui doivent changer.

Adeline Dieudonné dans l’émission Boomerang du 15 avril 2021


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