LES TÉMÉRAIRES : L’art à l’assaut du pouvoir

Mettant en parallèle l’enquête d’Émile Zola pour J’accuse… et le tournage du film L’Affaire Dreyfus de Georges Méliès, la pièce Les Téméraires interroge la notion d’artiste engagé. Impeccable, la troupe livre une partition qui sonne juste, à la fois drôle, émouvante… et criante de révolte.


Avec Les Téméraires, Julien Delpech et Alexandre Foulon réveillent deux chevaliers au courage immense qui, parés l’un d’une caméra, l’autre de sa plume, montent à l’assaut d’un des plus grands scandales du XIXème siècle : l’affaire Dreyfus

Relations ? Fortune ? Réputation ? Rien à perdre ! Bien qu’au faîte de leur gloire, Émile Zola et Georges Méliès remettent tout en jeu. Sans hésiter. Ramant à contre-courant de l’opinion générale, face à l’antisémitisme ambiant, ils luttent côte à côte pour dénoncer un mensonge d’État

Mise en scène par Charlotte Matzneff, la pièce mélange habilement drame et comédie : les infidélités de Zola, les tensions familiales, les “couacs” sur le plateau de tournage apportent non seulement une profondeur émotionnelle aux personnages, mais aussi un appel d’air entre les scènes fortes

ENTRE THÉÂTRE ET CINÉMA

En toile de fond, la réalisation du film de Méliès installe une atmosphère cinématographique qui accentue notre immersion dans les événements. Composée de 11 tableaux, cette production dure 10 minutes, un exploit pour l’époque. Indubitablement dreyfusarde, l’œuvre provoque littéralement des émeutes à sa sortie. Conséquence : elle se retrouve censurée au pays des Lumières… Mais rencontre un large succès en Italie, en Angleterre, et jusqu’aux États-Unis ! Grâce à vous, cette vérité que l’on voulait faire taire en France sera bientôt connue dans le monde entier ! s’émeut le romancier. “La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera” répond le cinéaste. Aujourd’hui, L’Affaire Dreyfus de Georges Méliès, premier documentaire et film politique au monde, tient une place centrale dans l’histoire du cinéma



Quant à Émile Zola, J’accuse… ! fait de lui la cible principale des anti-dreyfusards, au point qu’un jour, une bombe explose devant sa porte. Or quelles que soient les retombées, il a gagné : son article déclenche la seconde affaire Dreyfus, la vraie, celle que les foules s’approprient.
Devenant “l’Affaire” avec un grand A, ce qui n’était considéré que comme une problématique judiciaire évolue en un pur affrontement politique et social

L’ENGAGEMENT ARTISTIQUE À PLEINE PUISSANCE

L’intrigue aborde également les violences antisémites qui empoisonnent alors la France : elles mettent en lumière les préjugés, la brutalité et les dissensions ayant provoqué le complot dont a été victime Alfred Dreyfus. Le texte souligne surtout le rôle des médias, l’urgence d’informer avec objectivité, sans se fier aux croyances ou aux stéréotypes : Cette majorité de ceux qui n’ont le moyen ni de se documenter, ni de réfléchir. (…) Chaque matin, ils lisent dans les journaux des mensonges sur cette lamentable affaire (…) De toutes mes forces, je leur parlerai, à ceux qu’on empoisonne (…) Trouve-moi un journal qui n’a pas de nom et je lui en donnerai un ! rétorque Zola à son éditeur.



De répliques percutantes en lettres poignantes, les dialogues nous embarquent dans un temps où, en quelques mots, les intellectuels faisaient basculer l’Histoire. 
Sans didactisme, grâce à un rythme soutenu et des acteurs d’une justesse pleine d’énergie, cette pièce émeut autant qu’elle apprend. Malgré la gravité du sujet, elle relate l’affaire Dreyfus avec éclat, humour et panache.

En plongeant dans le quotidien de ces deux géants, Les Téméraires propose une aventure théâtrale qui restaure toute la puissance d’un engagement artistique.

Les Téméraires
Comédie Bastille
Mise en scène de Charlotte Matzneff.
Dates et horaires : Du 22 mai au 16 juin 2024. A 17h le dimanche, 19h les mercredi et vendredi, 21h les jeudi et samedi.
Tarifs : de 12,95€ à 42
€.

©Grégoire Matzneff


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