MOLIÈRE : AUTEUR MISOGYNE OU FÉMINISTE ?

Molière était-il l’un des plus grands féministes de la littérature française ou un auteur misogyne ? Telle est la question !

Des Précieuses Ridicules au Malade Imaginaire, ses pièces sèmeraient ici et là des pistes contradictoires. Pourtant, en creusant la surface, une réponse émerge, évidente. 


À dire vrai, il y a de quoi se tracasser le crâne ! D’aucuns argumentent que notre Molière tient une position assez sexiste. Preuves à l’appui ? Les Précieuses Ridicules et Les Femmes Savantes, où les femmes seraient dépeintes comme naïves, stupides et vaniteuses.

Ajoutons à cela les figures de Célimène dans Le Misanthrope, ou de Dorimène dans Le Bourgeois Gentilhomme, personnalités aussi vénales qu’égoïstes. 

“CE QUE FEMME VEUT, DIEU LE VEUT !

Seulement voilà : si les Célimène se montrent déloyales, elles s’avèrent surtout beaucoup plus malignes que la gente masculine. T’es-tu déjà demandé pourquoi cette jolie veuve, séductrice née, garde un amant tel qu’Alceste sous sa coupe ? Sans doute parce qu’elle adore se jouer de lui. C’est d’autant plus jubilatoire qu’il croit la dominer, alors qu’elle le mène par le bout du nez

Manifestement, Molière blâme davantage l’aveuglement, l’entêtement des Alceste qui, encore aujourd’hui, tentent d’établir leur contrôle absolu sur la personne aimée. Démasquée, humiliée, Célimène reste égale à elle-même, sans se démonter. A un Alceste ahuri, persuadé d’être sa seule alternative, elle répond : “Moi, renoncer au monde avant que de vieillir, et dans votre désert aller m’ensevelir !” Traduction : “Pas question que je vous suive ! Même à terre, je préfère aller au bout de mon plaisir.” Qu’est-ce donc, si ce n’est une femme dont la liberté triomphe sur l’autorité des hommes

MON PÈRE, JE NE VOUS HAIS POINT

N’oublions pas non plus les Élise, Angélique, Lucille et autres Agnès, filles exemplaires de pères insupportables. Malgré leur apparente légèreté, elles s’opposent à la tutelle parentale avec une certaine finesse, luttant contre la pression d’un siècle où la Réforme catholique entend soumettre le beau sexe. Conventions sociales machistes que L’École des Femmes raille à plaisir ! Par le biais d’Arnolphe – pur produit de ces schémas patriarcaux qu’il tourne en ridicule – Molière dénonce la tyrannie d’individus qui s’estiment propriétaires des femmes



Dans une société où il est courant que les aînés décident du destin amoureux de leur progéniture, son théâtre valorise des filles révoltées contre le joug paternel, portes-paroles d’un discours extrêmement moderne : “Le mariage est une chaîne où l’on ne doit jamais soumettre un cœur par force” rétorque Angélique au malade imaginaire Argan. L’alerte est donnée : qu’il s’agisse d’épousailles ou d’un baiser, les choses de l’amour ne s’imposent pas. Et la jeune femme d’ajouter que “la grande marque d’amour, c’est d’être soumis aux volontés de celle qu’on aime.” Si ça, ce n’est pas féministe… Messieurs, vous voilà prévenus ! 

LA SERVANTE : UN PERSONNAGE-CLÉ

N’en déplaise à leur esprit, ces demoiselles ne peuvent pourtant, sous peine de tensions graves, affronter franchement leurs parents. C’est là qu’interviennent les servantes. Insolentes, audacieuses, tordantes, elles bousculent l’ordre social, contestent l’autorité, ourdissent les plans les plus machiavéliques. Vivant en marge des valeurs établies, elles agissent ouvertement en opposition, libres de porter la rébellion des jeunes générations.  

La soubrette incarne, dans les comédies molièresques, le bon sens populaire. De faire-valoir, la voilà ange gardien, tête pensante qui résout les problèmes insolubles, contrepoint parfait des manies d’un maître dont elle accentue le ridicule. Sous la plume de Molière, cette domestique particulière enchaîne les ruses au rythme d’une trame où la vérité humaine se mêle à une folle fantaisie. L’absence de bienséances, de scrupules et de honte ouvre son imagination aux fourberies les plus surprenantes. C’est la seule à tromper le despotisme de son employeur, maté par sa sagacité. Cette fête de l’impudence se rattache clairement au carnaval où tout est permis, revanche jouissive sur les répressions morales et sociales.

Toinette, la servante d’Argan, se fait passer auprès de lui pour un médecin. Son objectif : le protéger des docteurs Purgon. Le Malade Imaginaire, mis en scène par Jean-Laurent Cochet.

“NE PRENEZ PAS NOS DÉFAUTS !

Et Les Précieuses Ridicules alors ? Et Les Femmes Savantes ? Que répondre aux accusations de misogynie les concernant ? Facile ! Observe bien les Précieuses… Que remarques-tu ? Ne les vois-tu pas, ces Mascarille et Jodelet qui tentent d’imiter les nobles ? Là aussi, les hommes en prennent pour leur grade. Ce n’est pas tant les femmes que Molière moque dans cette farce, mais plutôt les travers de la préciosité, mouvement très en vogue à l’époque. Il y critique la vanité, la fatuité, l’affectation que les salons mettent trop à la mode. 

Quant aux Femmes Savantes, à première vue, certains mots comme “De son étude enfin je veux qu’elle se cache” donnent effectivement l’impression qu’une femme doit masquer son intelligence. Or il est également dit : “Je consens qu’une femme ait des clartés de tout, mais je ne lui veux point la passion choquante de se rendre savante afin d’être savante.” A nouveau, l’auteur stigmatise la pédanterie. Il y blâme aussi la paresse de Chrysale, mari incapable de contredire sa compagne. 



Pour l’acteur, auteur et metteur en scène Jean-Philippe Daguerre, mordu de Molière – dont il a monté 9 pièces – cette dernière comédie est un chef-d’œuvre de féminisme : “C’est beaucoup plus profond que les Précieuses” affirme-t-il, “les personnages tiennent ici des propos très actuels sur l’égalité des sexes.” Soit dit en passant, il s’y trouve un bel avertissement… destiné cette fois aux femmes. “Être féministe n’est pas non plus haïr les hommes. Si Henriette se laisse guider par l’amour, sa sœur préfère suivre une mère tyrannique, devenue elle-même un homme à force d’en prendre les défautsprécise Jean-Philippe. En d’autres termes, à trop dénigrer les hommes, en tentant de prendre l’ascendant sur eux, nous ne faisons qu’attraper leurs vices. Cela ne signifie pas qu’une fille doit s’abaisser, seulement qu’elle peut éviter de suivre le mauvais exemple. Les deux genres se complètent, ils n’ont pas à s’écraser.  

Ouf ! J’arrive au bout du plaidoyer… Alors ? Molière était-il un défenseur des femmes ? OUI bien sûr. Très amoureux d’elles, son œuvre leur rend hommage. Épousant leur cause, ses pièces moquent un système qui les empêche d’accéder pleinement au savoir, exige leur soumission et prône les unions arrangées. Aussi astucieuses qu’elles soient, l’illustre dramaturge ne peut toutefois s’empêcher de leur donner quelques conseils, façon à lui de les protéger… Comme dans les Femmes Savantes, où se lit entre les lignes : “Mesdames, restez telles que vous êtes ! S’il vous plaît, n’allez pas prendre nos faiblesses de mec. Et n’oubliez pas : l’amour doit triompher.” 

Toujours !


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