Connaissez-vous le théâtre immersif ? Avec Fléau, mesure pour mesure, Léonard Matton relance le concept aux colonnes de Buren. Pendant une heure et demi, le public participe pleinement au spectacle, suivant les comédiens sur la plus grandiose des scènes : les jardins du Palais-Royal.
Shakespeare sous les fenêtres de la Comédie-Française ? Mais quelle bonne idée ! Mise en scène par Léonard Matton, Fléau, Mesure pour mesure se joue actuellement – et jusqu’au 8 septembre – dans le Domaine national du Palais-Royal.
Après Helsingør, château d’Hamlet, la compagnie Emersion adapte une autre œuvre shakespearienne sur le principe immersif. Comprenez par là un théâtre “totale” où l’espace devient décor, une scène sans limites. Vagabondant entre les colonnes, le spectateur suit le/les comédien(s) de son choix, à la poursuite des personnages dont il découvre l’histoire.
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Chaque soir, Fléau, Mesure pour mesure entraîne un auditoire éclaté aux quatre coins des jardins. L’action est là… Là… Là… Partout ! Ici, une prostituée raille le pouvoir en place, là-bas, un amant est arrêté parce qu’il a couché avec sa fiancée. Plus loin, un étrange prêtre complote afin de libérer ledit prisonnier. Au même moment, la vertueuse sœur du condamné se retrouve victime d’un odieux chantage…
Une scène se termine qu’une seconde, une troisième ont déjà lieu ailleurs. Vite, il faut les rejoindre ! Prendre une bribe par-ci, une autre par-là, tandis que les acteurs vous frôlent ou vous surprennent, se tenant juste à vos côtés. Les répliques fusent d’arcades en fontaines. Percevant qu’à droite, quelque chose se passe, vous rejoignez un groupe, sûr d’attraper la dernière nouvelle, et… Non ! Là, derrière, que vocifère le Duc à Isabelle ?
Rassemblant les fragments épars, un récit s’ébauche, comme perçu au fil des rues. Son dénouement coalise le public autour d’un parterre improvisé, sorte de forum où la pièce prend tout son sens.
INCONCILIABLE JUSTICE
Comment faire pour tout voir, tout entendre ? Que se passe-t-il si l’on manque un tableau ? Peut-on quand même comprendre l’intrigue ?
Eh bien… Oui ! D’après Léonard Matton, traducteur, adaptateur et metteur en scène du spectacle, “le théâtre de Shakespeare n’est pas soumis aux unités de temps et de lieux. Il y a toujours des scènes qui remettent les pendules à l’heure.” La preuve en direct !
Cet enjeu physique, cette contrainte de choisir tel ou telle interprète se fond dans la thématique du Fléau : prendre parti. Mesure pour mesure interroge la place du peuple, sa dimension sociale : que se passe-t-il lorsqu’une loi doit être appliquée ? Le pouvoir retiendra-t-il sa violence, ou en abusera-t-il ?
Sans se prononcer, Shakespeare nous rend témoin de la difficile position qu’est celle du législateur. Critiquant le système juridique, il explore ces problèmes éthiques qui se posent lorsque justice et miséricorde entrent en conflit. Sa tragicomédie sonde les rouages du pouvoir, médite sur la nature du pardon et de la rédemption, questionne la manière dont la vérité s’articule sur l’orgueil ou l’humilité : “Il en est que le péché élève et d’autres que la vertu fait chuter” prévient Escalus.
L’intrigue aborde aussi, avec un ton très actuel, l’égalité de la femme face à l’homme. “Dis ce que tu peux, mon faux l’emporte sur ton vrai” lance Angelo au visage d’Isabelle. A raison… Dans sa lutte contre ce tyran qui la désire, la seule force dont dispose l’apprentie religieuse vient de ses valeurs, auxquelles elle se raccroche : “Je me dépouillerais pour la tombe (…) plutôt que de prostituer mon corps à la honte.” Immanquablement, le dramaturge fait ici écho aux bouleversements qui secouent notre monde contemporain.
La relecture proposée par Léonard Matton corrobore justement cette originalité du propos chez Shakespeare. Sa mise en scène signe un drame satyrique, où classique et renouveau s’étreignent pour définir la modernité.
Magnifique !
Fléau, Mesure pour mesure
Domaine du Palais-Royal
Compagnie Emersion, mise en scène par Léonard Matton.
Dates et horaires : Tous les jours à 20h jusqu’au 8 septembre 2024.

RÉSUMÉ
Une cité envahie par une épidémie de peste. Le duc Vincentio quitte la ville et confie les rênes du pouvoir à son très jeune ministre, Angelo, modèle de rigueur et de vertu.
Les théâtres, les maisons, les cabarets sont contraints de fermer : prostituées, maquereaux et rabatteurs subissent les coups de la loi. Les couples illégitimes sont condamnés à mort ou à l’exil. Mais lorsque Angelo rencontre Isabelle, son désir est plus fort que lui, et il se met à abuser de son pouvoir.
Dans une atmosphère hors du temps, sensuelle et subversive, rythmée par une musique inspirée de la Renaissance, les 17 artistes mettent en corps et musiques cette “pièce-ville” qui traite, 400 ans avant le mouvement #metoo, d’agression sexuelle et de la juste application de la loi.
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