GLENN, NAISSANCE D’UN PRODIGE : Variations sans fausses notes

Après deux Molières et un triomphe au Petit Montparnasse, le spectacle d’Ivan Calbérac revient par la grande porte… Pour notre plus grand plaisir !


Atypique. Excentrique. Bourrelé de tics et de tocs, il ne se sent bien “qu’à 27°celsius.” Pourtant, à 23 ans déjà, Glenn Gould galvanise les foules. Encore aujourd’hui, ses Variations Goldberg font partie des morceaux les plus vendus au monde. 

Né en 1932 dans un Toronto qui lui glace les os, élevé par une mère trop aimante, presque incestueuse, Glenn trouve son salut dans le piano. Dès l’enfance, ce surdoué – probablement Asperger – s’est construit une tour d’ivoire où sa musique prend racine. Difficile de l’en sortir ! Extraterrestre déboussolé, les notes forment son seul langage. Après tout, “les mots, c’est souvent la meilleure façon de ne pas se comprendre” Bref, voilà un être à double face, aussi libre dans son art que prisonnier de ses phobies

Incapable d’intégrer les codes sociaux, cherchant la solitude autant qu’il la rejette, notre virtuose lutte contre ses névroses. Auront-elles raison de lui ? Allez savoir !

DERRIÈRE CHAQUE GRAND HOMME SE CACHE UNE FEMME

Plus qu’un parcours artistique, Glenn, naissance d’un prodige raconte l’histoire d’une éducation. Fasciné par cet ovni, l’auteur et metteur en scène Ivan Calbérac a longtemps fouillé sa vie. Au fil des biographies, il découvre l’impact qu’a eu Flora Gould sur son fils : “Ce qui m’a marqué, c’est sa relation avec sa mère, une mère étouffante, fusionnelle, qu’il n’a jamais réussi à tuer symboliquement.” Une matriarche aux rêves brisés, qui voit en son garçon l’occasion de réaliser ses vieilles aspirations. Jusqu’à l’obsession. Elle le choie, l’adore et le protège, au point de le déséquilibrer. Paradoxalement, grâce à ses moyens extrêmes, elle le mène à la gloire.



C’est là l’énigme qu’explore la pièce : en tant que parent, que doit-on faire ? Faut-il sans relâche pousser ses enfants ? Les laisser vivre ? A quel degré ? Vaste problématique, présente dans n’importe quelle famille !

Au-delà donc du biopic, un drame familial se joue sous nos yeux. Tragédie shakespearienneJosiane Stoleru campe une Flora symphonie de maux, de douleurs et d’excès. Dans un tempo plus modéré, Bernard Malaka, remarquablement émouvant, personnifie ce père trop en retrait, tentant cahin-caha de raisonner sa femme : “On peut aimer sans contrôler, encourager sans contraindre.”

Autour d’eux gravitent d’autres protagonistes : l’impresario bienveillant – excellent Benoît Tachoires – mais surtout la cousine Jessie, qu’incarne l’impressionnante Lison Pennec. Tout en retenue, son jeu plein de justesse valorise la poésie des moments complices, la cruelle désillusion d’un amour non partagé, l’innocence dans l’abnégation.

LA MUSIQUE, UN PERSONNAGE À PART ENTIÈRE

Glenn interroge également notre rapport à l’Art, tissant au passage une réflexion sur le statut d’artiste : “A quoi bon jouer cette œuvre de Bach si elle a déjà été jouée comme ça ?” demande souvent le pianiste. Anticonformiste, il apporte constamment sa propre lecture, quitte à changer la partition

Associant matériel biographique et enjeu artistique, cette tragicomédie prend par les sentiments. Rythmée, la mise en scène combine à merveille l’humour et le drame. Exit les noirs plateaux : un mime, une danse, un jeu de chaises ou de rideaux transitionne les lieux et les époques. 

Pas le temps de souffler ! A pas cadencés, l’on est d’emblée plongé dans l’univers de Gould, son génie, ses folies… Côté scénographie, un piano, deux chaises, une table constituent le décor. Un pan de mur en bois, percé de portes et de fenêtres, complète l’espace sans l’envahir. Le minimum syndical au récit. 



Cette élégante sobriété laisse courir l’imagination où les mélodies s’installent. Personnage à part entière, la musique fait corps avec Thomas Gendronneau, l’interprète de Glenn. Quel défi que ce rôle aux milles nuances, si dur à incarner sans tomber dans le cliché ! Un vrai challenge que l’acteur relève haut la main. Perdu dans son pull Jacquard, la tête noyée dans une écharpe plus large que son visage, il habite cet éternel adolescent dans chacun de ses mouvements, de ses regards, de ses mots. Lui-même musicien, le comédien joue comme personne sur ce mystère du geste qui crée le son, la note ultime, celle qui nous touche sans que l’on ne comprenne pourquoi

Un régal pour les yeux, les oreilles… Et le cœur ! 

Glenn, naissance d’un prodige
Au Théâtre Montparnasse jusqu’au 22 décembre 2024.
Mise en scène par Ivan Calbérac.


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