S’inspirant de la foisonnante correspondance entre Arletty et son amant allemand, la pièce de Jean-Luc Voulfow propose une lecture originale des faits qui réhabilite la célèbre actrice.
Avant Adèle Exarchopoulos, Catherine Deneuve et Brigitte Bardot, il y avait Léonie Bathiat. Aka Arletty. En un temps où Netflix et les réseaux sociaux n’existaient pas, sa gouaille, son accent argotier, son franc-parler ont charmé l’Europe entière. Dans les années 30-40, elle est LA star de films mythiques tels que Les Enfants du Paradis ou Les Visiteurs du soir.
Pendant l’Occupation, malgré la pression allemande, Arletty préfère rester dans la capitale française. Sans filtres, peu concernée par la politique, elle mène ses fréquentations selon son cœur, sans distinction d’âge, de principes, d’appartenances idéologiques ou sociales. Côtoyant la fille du collaborateur Pierre Laval et Louis-Ferdinand Céline, elle les apprécie autant que Colette ou Cocteau. Mieux ! Notre charmante actrice tombe amoureuse du lieutenant-colonel Hans Jürgen Sœhring, favori de Gœring à Paris. Cette relation sentimentale entraîne, lors de la Libération, son arrestation par les FFI. C’est sur cette liaison très controversée que se penche Arletty, un cœur très occupé.
ENTRE RIRES ET ÉMOTIONS
Tout en délicatesse, le texte de Jean-Luc Voulfow mêle les temporalités dans un récit où les dialogues montent le rythme. Porté par Béatrice Costantini et François Nambot, il rend hommage à l’une de nos plus grandes étoiles. Un sacré personnage dont Costantini a su capter l’originalité, cette fougue empreinte d’un mélange unique de gravité et de légèreté. Sans trop s’appuyer sur le fameux accent canaille, elle apporte juste ce qu’il faut de piquant, dosant à merveille sa touche humoristique. François Nambot, lui, trouve le parfait équilibre entre le loup ambitieux, prêt à débusquer le moindre scoop, et l’homme un brin sentimental, capable d’empathie.
Sur fond d’un décor en noir et blanc – clin d’œil aux films de la vedette – leur jeu d’acteur évolue dans une dynamique où le reporter Samuel, initialement hésitant, gagne en assurance face à une Arletty qui ne se prive pas de le remettre à sa place : “Vous n’écoutez que les mots, sans comprendre leur force cachée” s’énerve-t-elle. Le public assiste alors à une conversation jouant sur la profondeur des lettres et les questions naïves du journaliste, dont les bévues renforcent le comique de situation : “En gros, si vous aviez été Allemande, vous auriez eu moins de problèmes.” “Et ben, j’y penserai la prochaine fois !”
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À la Libération, Arletty s’est défendue en proclamant : “Mon cœur est français, mais mon cul est international.” Certains voient dans ces paroles une forme de collaboration. D’autres, l’expression d’un désir de vivre sa vie, sans se soucier des conventions sociales. Chacun son interprétation…
Difficile exercice que de juger à contretemps les êtres et les sentiments. Cela ne se fait pas… Sauf au théâtre ! La scène peut justement s’emparer d’un amour déraisonnable sans avoir à justifier des comportements durant la guerre. Arletty, un cœur très occupé renvoie donc une autre lecture des faits, où s’extraire simplement du clan revient à trahir son camp. Ce scandale revisité pousse à s’interroger sur les choix d’une vie, celle d’une femme libre avant toute chose. La question resurgit, persistante : a-t-elle vraiment eu tort ?
Vous avez 1h15.
Arletty, un cœur très occupé
Au Théâtre des Mathurins jusqu’au 28 décembre 2024.
Une pièce de Jean-Luc Voulfow, mise en scène par François Nambot avec : François Nambot, Béatrice Costantini.

RÉSUMÉ
Inspiré des authentiques lettres retrouvées entre l’actrice et son bel officier allemand, ce magnifique spectacle romantico-historique nous replonge dans les tourments de ce « cœur très occupé » grâce à un jeune journaliste qui, après avoir poliment forcé la porte de la star, l’invite à replonger dans son courrier amoureux.
L’évolution de leurs rapports durant cet interview étonnera par toutes ses surprises, ses révélations et ses nouvelles émotions mettant à jour ces instants historiques aussi intimes que particuliers que la légende et la presse ont souvent fâcheusement transcendées.
En 1941, pendant l’Occupation, Arletty rencontre Hans Jürgen Sœhring, un officier allemand de dix ans son cadet, proche d’Hermann Gœring, l’un des hommes forts du IIIème Reich. L’actrice tombe amoureuse de cet homme aux oreilles pointues (elle s’amusait à le surnommer son Faune), et entame une idylle passionnée. Alors que sa popularité est au firmament, elle s’affiche sans complexe avec un représentant de l’ennemi. Cette “collaboration horizontale” vaudra à Arletty quelques ennuis à la libération lui inspirant cette fameuse phrase : « Mon cœur est français, mais mon cul est international. »
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