24H DE LA VIE D’UNE FEMME : Le sentiment à l’état nu

Avec élégance et subtilité, Anne Martinet transpose sur la scène du Lucernaire Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, de Stefan Zweig. Une confidence intense dont vous ne ressortirez pas indemne ! 


Ses yeux bleus s’échappent de la pénombre, percutent nos regards. Au commencement, le silence. Une voix douce, presque discrète, transperce soudain l’ambiance feutrée. La dame s’anime ! Cintrée dans sa gabardine, elle prend ce profil raide des aristocrates.

Fine, juste, subtile mais entière, Anne Martinet donne vie à Madame C, qui révèle les méandres d’une rencontre impromptue, fugace, traumatique. Vingt-quatre heures durant lesquelles cette veuve sans grande occupation s’élance sur les pas d’un jeune joueur en perdition. Totale, élan incontrôlable traversé de sentiments contradictoires, sa passion incandescente fait l’objet d’une confession où le passé émerge dans sa violence, laissant au passage transparaître la culpabilité. 



UN TEXTE À CONTRE-COURANT

Adaptée en monologue, la nouvelle de Stefan Zweig rejoint ici l’univers du théâtre pour exposer d’autres facettes : l’incarnation d’un corps qui redécouvre les joies du plaisir, la brutalité des angoisses, la douleur des désillusions. Jeu de divulgation où le corsetage bourgeois se délie et lâche prise aux émois chaotiques. C’est justement ce jugement sociétal sur les désirs féminins – notamment quand ceux-ci dévient du traditionnel schéma matrimonial – que Zweig veut critiquer.

Loin d’écraser son propos, cette adaptation de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme en réhausse l’infinie puissance. Prenant le spectateur à témoin, Madame C l’intègre dans son récit. Mot à mot, il suit, fasciné, le déroulement chronologique de ses sentiments : “Je le fixe, aussi hypnotisée par sa folie que ses regards le sont par le jeu, je ne remarque plus rien d’autre dans la salle, tout me semble sans éclat, tout me semble terne comparé au feu de ce visage (…).”

ENTRE ARDEUR ET RETENUE, LA FEMME À CŒUR OUVERT

Au plateau, peu d’accessoires. Un banc de jardin et une chaise en fer forgé plantent le décor. L’actrice occupe complètement l’espace, silhouette légère qui évolue gracieusement d’un bout à l’autre de la scène. Entre ses mains, une petite radio diffuse, de temps à autre, du Bach ou du Arvo Pärt. 

Place est faite à la langue, claire, vraie, sagace de l’écrivain autrichien, si évocatrice des cheminements psychologiques humains. Avec sobriété, la mise en scène de Juan Crespillo joue intelligemment sur les lumières, les ombres, les placements, instaurant une dynamique, un souffle à une Madame C toujours en mouvement. La scénographie se met là au service du texte, de son tempo, sa poésie.

L’interprétation d’Anne Martinet, aussi poignante que délicate, serpente parmi les confusions du cœur. D’une précision d’orfèvre, elle dompte les ruptures, accorde les silences, créant dans son phrasé un rythme captivant. Sa diction, limpide et mélodieuse, jongle merveilleusement sur les intonations, quelle que soit l’émotion. Magnétique, toute en charme, tendresse et sensibilité, la comédienne hypnotise l’auditoire, qui vit ce seul-en-scène comme un moment suspendu, hors du temps. 

“Vingt-quatre heures… Une seule journée… Toute une vie.”

24 heures de la vie d’une femme
Au Lucernaire
Mise en scène de Juan Crespillo, avec Anne Martinet.
Jusqu’au 27 juillet 2025.


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