Pièce aussi drôle que percutante, on ne se lasse pas d’Un fil à la patte ! Avec cette adaptation plus pétillante qu’une bulle de champagne, la troupe du Lucernaire rend un bel hommage au vaudeville et ses malices.
Quel est donc ce fil attaché à la patte de l’ambitieux Bois-d’Enghien ? Une femme, évidemment. Quand Lucette Gautier – jolie chanteuse qu’il ne sait comment quitter – contrarie ses ambitions matrimoniales, le lâche se déballonne. Entre mensonges et bévues, le voilà pris dans un engrenage où les quiproquos le disputent aux traits d’esprit.
ACCORD BURLESQUE
Satire sociale truffée de personnages jouissivement truculents, Un fil à la patte traverse les époques sans perdre son mordant. Ses éternels protagonistes, carburant à la convoitise, rappellent – encore et toujours – un esprit individualiste des plus contemporains. Bonne chère, gloire, argent… Variant les formes, l’avidité s’incarne en chacun d’eux, poussant la caricature. Joies du vaudeville où le plaisir réside, non pas dans la dimension des psychologies, mais dans l’art des contrastes, la caractérisation des obsessions, le comique des situations.
Pourtant, la bouffonnerie s’accompagne ici d’un certain cynisme. A la tendresse de l’amoureuse Lucette répond la lucidité de la froide Viviane : “En somme, ce n’est jamais rien que pour en faire mon mari (…) Pourquoi désire-t-on une chose ? C’est parce que les autres la désirent…”. Fameuse loi de l’offre et de la demande qui régente jusqu’aux affections. Les sentiments se monnayent, comme le reste. Férocité et drôlerie, fond sinistre sous l’apparente légèreté… Cocktail détonnant du dramaturge. Derrière la valse des imbroglios, se cache la raillerie d’un monde où l’hypocrisie n’a d’égale que la vénalité.

DU RYTHME, RIEN QUE DU RYTHME
Chez Feydeau, la profondeur devient justement affaire de surface. En l’absence de sous-texte, tout repose sur une cadence constante. Dans un esprit volontairement cartoon – mimiques exagérées, courses-poursuites, danses gaguesques – la mise en scène de Philippe Person et de Florence Le Corre prend le public en tension. Ça bouge, ça danse, ça virevolte… Les portes claquent, les claques fusent. Chorégraphie millimétrée dont les acteurs maîtrisent la rythmique. Ancrés, tenus, ils montrent une vraie justesse dans le clownesque, grossissant le trait sans perdre l’équilibre. On se régale des minauderies de Selma Hubert – formidable Lucette malgré sa voix un peu forcée – des mimiques de Marie Brocquehaye en institutrice anglaise, et des pulsions mortifères du général Irrigua, interprété par l’hilarant Jean Gérald Dupau. Un pur dessin animé !
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Évitant les débordements superficiels, cette version survitaminée surfe allègrement sur le flow vaudevillesque. Hélas, son contenant comique très dense, et des comédiens qui manquent encore de bouteille pour un morceau pareil, étouffent la noirceur profonde de l’intrigue… Si l’angle cartoonesque permet d’assurer le rythme exigeant d’Un fil à la patte, il en estompe aussi l’enjeu. Sous le divertissement fracassant, difficile d’entendre toute la rage d’une charge brutale portée contre la cupidité, la pleutrerie et la trivialité de l’institution conjugale.
Un fil à la patte
Le Lucernaire
Mis en scène de Philippe Person et Florence Le Corre.
Du 26 mai au 27 juillet 2025.

RÉSUMÉ
La pièce s’ouvre chez Lucette Gauthier, chanteuse de café-concert à succès. Son amant, Bois d’Enghien est bien décidé à lui annoncer leur rupture et pour cause : il se marie le soir-même avec Viviane Duverger, fille de la Baronne du même nom. Une galerie de personnages truculents comme montés sur ressorts (des prétendants intrépides ou repoussants, des domestiques zélés ou roublards, une sœur affamée, etc.) se retrouvent pris dans une machine infernale où les quiproquos le disputent aux traits d’esprit. Comédie joyeuse autant que satire sociale : ici seule la femme de « peu de vertu » est amoureuse, tous les autres ne sont mus que par l’argent.
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