LE JEU DE L’AMOUR ET DU HASARD : Un marivaudage moderne et déjanté par le Collectif l’Émeute

Frédéric Cherboeuf et les acteurs du Collectif l’Émeute soulignent toute la modernité d’une comédie qui montre combien les codes amoureux n’ont, en réalité, guère changé. Voici une course-poursuite à la recherche de l’amour vrai, où les jeux de séduction prennent l’allure d’une fête endiablée.


Cher Marivaux… Quel délice que ses pièces où, au revers des badinages, se cache une certaine cruauté ! Le Jeu de l’Amour et du Hasard, bien entendu, ne déroge en rien à la règle.  

Transposé au siècle actuel, le texte original ne prend pas une ride dans cette savoureuse adaptation : Silvia et Dorante, fiancés sans se connaître, échangent temporairement de place avec leurs domestiques. Objectif ? Jauger secrètement son promis, dans sa vérité. Ce double subterfuge entraîne, inévitablement, quelques malentendus qui mettent à l’épreuve leur affection naissante.

Une situation dont Orgon, père de Silvia, et son fils Mario, tous deux au courant du stratagème, tirent allègrement les ficelles. Brisant ici le quatrième mur, lorsqu’ils n’interviennent pas au plateau, les deux personnages restent à nos côtés, prenant, comme nous, un certain plaisir à voir flirter ces jeunes gens.



LUTTE HORS CLASSES

Sous l’apparente légèreté, la violence des questions posées – toujours d’actualité – ressort à chaque scène : L’amour peut-il mépriser les barrières sociales ? L’autre vaut-il pour ce qu’il est ou par ce qu’il paraît être ? Cache-cache des sentiments où l’on se masque, se cherche, s’éprouve… Jusqu’à l’ultime limite. Subtile équilibre entre approche et distance, camouflage et franchise, résistance et abandon : “Il faut que j’arrache ma victoire, et non pas qu’il me la donne” insiste Silvia. 

Or ce travestissement supprime l’inversion des statuts sociaux : quand personne ne pense être à sa place, chacun se retrouve devant son double. “Règles du jeu fixées, mais les dés sont pipés” chantonne Goldmann. Les valets, jouant sans scrupules aux grands seigneurs, s’en donnent à cœur joie. Leurs maîtres, eux, prisonniers des conventions sociales, s’embourbent dans un labyrinthe du mentir vrai, traquant à chaque réplique la faille qui fera tout basculer. 

JEUX DE DUPES AU CARNAVAL DES SENTIMENTS 

De cet enchaînement burlesque, Frédéric Cherboeuf tire toute la tragédie amoureuse, faisant parler les corps autant que le texte. Tempête des emballements où les comédiens naviguent entre colère, joie, tristesse et désarroi.  Sur fond de guinguette festive, ils crient, pleurent, courent, suent, s’enlacent, se bousculent…  Tandis que le ton, les intonations, transpirent l’émotion. Quelques chansons, bien modernes, s’invitent même à la danse, cassant le carcan de la langue.

Explosive, Justine Teulié incarne une Lisette délicieusement délurée, formidablement complémentaire avec le Arlequin bondissant, si clownesquement bad boy de Jérémie Guilain. En Silvia, Céline Laugier montre un orgueil et une sensualité déroutante, excellant à se torturer autant qu’à tourmenter son entourage. Ancré, tendu, Adib Cheikhi campe un Dorante solaire, ballotté entre la fougue violente des passions et une tendresse presque enfantine. Traînant sa gouailleuse nonchalance d’aristocrate oisif, Vincent Odetto est Mario, le frère complice. Il seconde intelligemment Matthieu Gambier, Orgon débonnaire et affectueux malgré sa malice de marionnettiste… Ou de chef d’orchestre ? Vous verrez combien, dans cette version, les costumes sont connotés.



UNE PENSÉE AVANT-GARDISTE ?

Frédéric Cherboeuf met en évidence une quête de vérité dont la sincérité se trouble face aux enjeux. Gardant l’issue heureuse, il sème pourtant la confusion sur les intentions de Silvia. La jeune femme prend finalement plaisir à ce double jeu, s’en servant allègrement afin d’affermir sa position. Le tailleur de businesswomen qu’elle porte, sous sa véritable identité, inscrit son personnage dans une modernité assumée : ses propos et ses réflexions paraissent alors comme une anticipation des discours féministes actuels. La prédominance du sexe faible émergerait-elle ? L’amour se réinvente.

Original et franchement contemporain, ce Jeu de l’amour et du hasard montre une insolence piquante qui fait pétiller les milles artifices du marivaudage.

Le Jeu de l’Amour et du Hasard
Théâtre des Mathurins
Mis en scène de Frédéric Cherboeuf
Du 29 août au 30 décembre 2025


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