GAUGUIN – VAN GOGH : Le choc des titans

Au Lucernaire, Cliff Paillé nous invite dans l’atelier de deux génies que tout oppose. Des querelles sur l’art au vertige de la folie, William Mesguich et Alexandre Cattez donnent chair à une confrontation aussi intense que monstrueuse.


Arles. Octobre 1888. Cheveux gominés et chaussures en cuir, valise sous le bras, un homme sort de l’ombre. Crânement, il interpelle la voix narrative qui introduit l’intrigue. Lui, c’est Paul Gauguin. Voyageur d’une curiosité démesurée, artiste libre carburant à l’imaginaire, son inspiration se puise ici et partout, jusqu’au fond de l’esprit.

Parmi les chevalets, farfadet lunaire et fébrile, Vincent Van Gogh l’attend impatiemment. Hyperactif, préférant la création immergée en pleine réalité, sa peinture est pulsion : “J’arrache des tableaux au monde qui m’entoure” parce que “penser, ça ne me réussit pas trop.”



COLOCATION EXPLOSIVE

Commence alors une cohabitation durant laquelle deux visions s’imposent, s’affrontent, s’entrechoquent. Dans l’espace intimiste du Lucernaire, Gauguin-Van Gogh expose sans détour la fracture fondamentale entre le postimpressionniste français et le peintre néerlandais. L’un cherche la vérité immédiate, brute, celle du regard. L’autre veut donner un coup de pied au réalisme, s’affranchir du motif, trouver “l’inachèvement où l’œil peut s’engouffrer.” 

D’esthétique, la confrontation devient existentielle. Paul, bon vivant sûr de lui, se révèle vite impuissant – si ce n’est nocif – face à la fragilité fiévreuse, presque enfantine de Vincent, toujours en quête d’affection. Devant une telle aura, Van Gogh s’automutile psychiquement, poussé dans ses retranchements. La tension croît, nourrie par le violoncelle qui, rythmant les coups de pinceau, souligne la brutalité grandissante de leur relation.

PEINTURE INCARNÉE

Sur scène, le décor sobre d’un atelier. Au fond, deux panneaux servent tour à tour de cloisons et d’écrans. Un fauteuil, une chaise, deux chevalets, une table qui, à demi retournée, prend la forme d’un banc, complètent l’ensemble. 

Dans cet environnement, William Mesguich incarne un Van Gogh débordant, brouillon, traversé d’éclairs. Mais quelle précision dans cette brouillonnerie ! Feu follet virevoltant, toujours en mouvements, ses postures nerveuses et son débit haletant peignent toutes les subtilités de son personnage. Quant à Alexandre Cattez, il campe un Gauguin stable et constant, habité, aussi juste dans la drôlerie que dans la colère ou la mélancolie. Acteurs très à l’écoute, leur complicité sert un jeu lui-même au service du texte : chaque placement, chaque silence, chaque sourire, grimace ou intonation dessinent leur dialogue, comme une toile qui se compose sous nos yeux. Les lumières, clairs-obscurs ponctués de projections d’œuvres, prolongent cette peinture vivante

D’une plume vive et profonde, Cliff Paillé reprend la biographie de David Haziot, façon duel poétique. La mise en scène de Noémie Alzieu, au cordeau, donne souffle et rythme pour une rencontre épique. Gauguin – Van Gogh n’est pas seulement une pièce : c’est l’expérience d’un combat entre deux manières de regarder le monde, de le peindre… Et de l’habiter.

Gauguin-Van Gogh
Le Lucernaire
Mis en scène de Noémie Alzieu et Cliff Paillé, sur un texte de Cliff Paillé et David Haziot
Du 3 septembre au 16 novembre 2025


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