ROSE ROYAL : La brûlure du désamour sous le calibre de Romane Bohringer

À la Comédie des Champs-Élysées, Anne Charrier incarne avec une intensité bouleversante la dérive amoureuse d’une quinquagénaire lucide, drôle, terriblement vivante. Thriller intime et portrait de femme, Rose Royal percute la rétine.


Libre, un brin cabossée mais la cinquantaine rayonnante – “j’ai de beaux restes”, attention – Rose explore soir après soir les méandres du désenchantement amoureux. Jusqu’à cette rencontre fatidique. Elle qui croyait avoir tourné la page des hommes, fendille l’armure, laisse venir, s’émeut à nouveau. Puis, cela s’installe sans bruit, insidieusement. Quoi ? Le besoin de possession, cette façon de considérer l’autre en objet. Peu à peu, l’emprise prend le pas sur son individualité. 

Adaptée d’une nouvelle de Nicolas Mathieu, Rose Royal s’impose comme un thriller psychologique haletant, oscillant entre ironie mordante, sensualité et brutalité rentrée. 

UNE HÉROÏNE ARMÉE ET DÉSARMANTE

Dans la peau de Rose, Anne Charrier illumine la scène. Incarnant ce personnage indépendant, fort, lucide, et pourtant toujours en quête d’amour, elle porte la pièce à bout de souffle. Et de rire. Sa fougue, son humour ravageur, son corps – soulignons ce jeu de jambes aussi précis que suggestif – traduisent l’angoisse intérieure d’une femme qui a trop vécu et qui, désormais, se protège derrière son calibre .38 : « Il regardait le JT pendant que j’étais au téléphone ; tout d’un coup, il me sort “Tu vas la  fermer ta gueule ?“. Le lendemain j’achetais mon .38 sur un site américain avec une boîte de cartouches. 650 € ! ». Ancrée, le ton juste, l’actrice passe du désespoir à la drôlerie avec une aisance bouleversante : un vrai numéro d’équilibriste entre le burlesque et le tragique.

Au plateau, Romane Bohringer a imaginé une bulle temporelle, pleine de signes et de symboles : décor emballé façon Christo, mobilier blanc, lit immense tour à tour plate-forme ou piste de danse, créent une ambiguïté poétique. Tout est analogie. De la pureté, de l’enfermement, du désir peut-être. On ne sait plus si Rose doit rester ou s’enfuir. 

Cette scénographie décalée accompagne avec intelligence la montée en tension du récit où l’homme – Luc, figure fantomatique – rôde sans jamais se livrer entièrement. 



UNE TRAGÉDIE LATENTE

Excellente, la plume de Nicolas Mathieu joue avec les codes du polar et du drame intime. Le suspense naît d’un rien : une entrevue au bar Royal, un chien blessé, un mot malheureux… De cette banalité surgit la tragédie. Implacable mécanique où, subtilement, l’ivresse laisse place à la désillusion, virant à cette conclusion inattendue, presque suspendue

Si la pièce fascine, elle désoriente aussi. Le sens, parfois, se brouille. Les ellipses narratives et les métaphores encouragent un flou artistique : qui, pourquoi, jusqu’où ? Cette opacité, si elle participe au mystère, peut frustrer. De même, certaines scènes, plus crues, rompent la poésie du texte par un réalisme verbal abrupt.

Entre fragilité et puissance, Rose Royal est une plongée dans la solitude féminine et la violence du désamour. Romane Bohringer signe une mise en scène inventive, portée par une Anne Charrier incandescente, dont la présence électrise l’espace. Une œuvre dense, imparfaite mais profondément humaine. Comme son héroïne.

Rose Royal
Comédie des Champs-Élysées
Mise en scène de Romane Bohringer
Jusqu’au 28 décembre 2025


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