Avec Le Joueur d’Échecs de Stefan Zweig, magistrale métaphore de la puissance d’un pouvoir totalitaire sur nos identités, Gilbert Ponté fait le pari d’un seul-en-scène dépouillé de tout artifice. Un retour salutaire aux sources du récit… et du théâtre !
Revenons des siècles en arrière, à une époque où l’écriture n’existait pas. Comment faisait-on, alors, pour transmettre notre histoire ? Par la parole bien sûr ! Juste les mots, parlés en variant le ton, sans décors, costumes ni effets spéciaux. Rien que le verbe.
Un parti pris que Gilbert Ponté assume foncièrement dans ce seul-en-scène percutant. Au plateau, le vide. Pas même un échiquier. Espace volontairement désert qu’habite pleinement l’acteur, tant de son corps que par sa voix. Seul élément interactif : un damier géant, tout en traits animés, projeté au climax du récit. Là encore, place à la sobriété. Point d’extrait de films ou d’images complexes, uniquement quelques lignes fines qui vont et viennent sur les vieilles pierres du théâtre Essaïon.
LE JEU AU SERVICE DU TEXTE
Ce retour aux origines fait du bien : il réactive la simple ambition d’un art dramatique au service du propos, plutôt que l’inverse. Procédé qui s’accorde parfaitement à la merveilleuse écriture synthétique de Zweig.
Quête d’identité, poursuite du pouvoir, duel d’intelligences, altération de l’humanité… Dans Le Joueur d’Échecs, l’auteur autrichien questionne chacune de ces dimensions. Le fameux jeu stratégique n’est ici qu’un prétexte par lequel il aborde l’une des périodes les plus sombres de notre Histoire : si le mystérieux docteur B représente la résistance et la raison, la bêtise crasse de Cvetkovic constitue une splendide métaphore des nazis. Figuré par “cette planche à carreaux”, son enfermement ne lui permet plus de raisonner, ni de percevoir le monde qui l’entoure. Ce “champion du monde” passe pour un robot, une machine, exactement comme le nazisme se révèle un instrument à décérébrer tout un peuple. Décervellement contre lequel le docteur tente de lutter, coûte que coûte.
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Par sa présence et son jeu d’une grande diversité, Gilbert Ponté réveille, attise, souligne, bouscule cette profondeur propre à Stefan Zweig. D’un regard plein de milles choses aux variations d’intonations, l’acteur caméléon sait peindre au plus vrai chaque protagoniste. Graduellement, il monte en tension jusqu’à donner une troublante humanité au docteur B, ce joueur d’échecs si perdu dans son essence.
Petit bémol pourtant : une place plus large aux silences aurait apporté, quelquefois, davantage de poids dramatique. Un détail qui n’a guère empêché ce “comédien-conteur” d’atteindre son objectif : rendre visible l’invisible en cultivant notre imagination !
Le Joueur d’Echecs
Théâtre Essaïon
Mis en scène et interprété par Gilbert Ponté.
Jusqu’au 1er avril 2025.

RÉSUMÉ
Sur un paquebot qui l’emmène en l’Argentine, le conteur en l’occurrence Stefan Zweig, rencontre plusieurs personnages remarquables. Le champion du monde Cvetkovic paysan sorti du fin fond de la Hongrie, exceptionnellement doué pour les échecs mais un abruti fini. Sa seule préoccupation dans la vie sont les échecs et surtout l’argent que cela lui rapporte.
Le second personnage est plus mystérieux le Docteur B. Un homme cultivé, intelligent, qui raconte au narrateur son histoire terrifiante. Après avoir développé chacun des deux personnages Zweig les réunit pour une ultime confrontation. Une partie d’échec.
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